Psychologue et non-voyant, Robert Geoffroy aide ses patients à tenir bon en cette période compliquée. Son credo : sortir de notre conditionnement et mieux se connaître, afin d’aller vers plus de sérénité.
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Mon parcours de vie à travers la cécité, depuis mes dix ans, m’a conduit à m’intéresser à l’autre et au fonctionnement humain avec une dimension spirituelle, pas seulement psychologique. J’ai une approche plus profonde, plus réelle, vers ce que nous sommes vraiment au-delà de notre conditionnement.
Avec la médecine à distance, on a troqué le canapé pour le téléphone. Cela change quelque chose dans vos consultations ?
Je reçois en cabinet, par téléphone, Skype, WhatsApp… Cela ne change strictement rien, et pas parce que je ne vois pas la personne, mais parce que l’aide que je vais lui apporter sera identique qu’elle soit dans la pièce ou au bout du fil. J’entends, je sens et j’invite la personne à reconnaître ses ressentis profonds.
Remarquez-vous, depuis la crise sanitaire, un afflux de patients ? Voyez-vous de nouveaux maux apparaître ?
Il semblerait que depuis un ou deux mois, il y en ait en effet un peu plus. Mais l’essentiel n’est pas là. Les gens qui consultent viennent avec un problème relationnel (travail, famille…), matériel, de santé ou une situation extraordinaire, comme cette pandémie, ce confinement.
Il n’y a pas une manière différente de les aider selon le problème ; il va s’agir dans tous les cas d’aider la personne à reconnaître ce qu’elle ressent vraiment. On pense les problèmes, on déplore les problèmes, mais on ne s’arrête jamais sur ce qu’ils nous font ressentir. C’est la clé essentielle du dépassement. Avec le contexte sanitaire, la personne revit son histoire, son conditionnement. Les blessures d’enfant n’ont pas attendu la crise pour exister, la crise est juste une occasion pour les faire ressortir.
Cela s’entend, mais est-ce que, pour autant, le confinement n’est pas à l’origine directe de problèmes nouveaux ?
Je ne dirais pas que la situation actuelle crée de nouvelles problématiques. Par contre, plus une situation est intense et violente, comme les attentats et le confinement, plus les blessures sont révélées et sortent de partout. Tout le refoulé qui dormait se bouscule.
Chacun réagit différemment : certains sont indifférents ou manifestent de la colère, d’autres sont dans le déni ou dans la plainte, ça passe par l’expression ou reste dans la tête… Et tous font fi de ce qu’ils éprouvent en réalité.
La jeunesse, justement, n’est-elle pas à un âge où on réagit plus difficilement à ce contexte ?
C’est la même chose quel que soit l’âge. C’est la façon dont l’on vit cette situation et avec qui on la vit qui parle de notre conditionnement. Dans un groupe de jeunes, chacun fait sa propre lecture des choses à partir de ses filtres et de son vécu. Pour eux, cela peut représenter une épreuve très particulière, de la même façon que d’autres jeunes vivent en temps de guerre dans d’autres pays. Je ne dis pas cela pour relativiser mais pour montrer au contraire que le problème de la jeunesse est immense et réel.
Comment surmonter cette période quand on est jeunes ?
On ne doit pas ignorer cette force en nous, y compris chez les jeunes, ce pouvoir, cette puissance. On doit puiser dans cette inspiration pour sortir de la situation. Je parle de la conscience dont on est porteur, la disposition à vivre, la bonne volonté à faire de ce grand défi un appui pour se dépasser et voir plus grand – découvrir son potentiel. Il serait dommage de déplorer de ne pas pouvoir changer le monde en continuant d’ignorer que nous pouvons tout changer en nous-mêmes !
Vous avez la particularité d’être aveugle. Cela est-il un atout dans la manière d’aborder votre profession ?
Je vais vous donner la réponse d’un aveugle, mais un autre aveugle vous dira autre chose… J’ai vu jusqu’à dix ans donc j’ai eu l’expérimentation du changement d’état de conscience. J’ai eu une vraie notion du temps et de l’espace.
Avec les années, j’ai eu le sentiment de voir ce que les autres ne voyaient pas, je percevais certaines choses dans les interactions. Par exemple, quand une personne faisait une demande et qu’on lui répondait « oui », je pouvais sentir que ce « oui » voulait clairement dire « non », ce dont personne ne se rendait compte autour de moi. Dans mon cas, la cécité m’a permis de développer une écoute particulière. Être aveugle m’aide. Sur mon site, je disais « Je suis aveugle alors j’aime voir et aider à voir ».
Certaines personnes aveugles partagent ce point de vue et vont même jusqu’à dire qu’elles ne voudraient pas recouvrer la vue.
Oui, j’ai entendu une poétesse aveugle – Angèle Vannier – dire sur le plateau de Radioscopie que pour rien au monde elle ne voudrait revoir. Moi, j’adore lire, ce serait tellement plus pratique d’avoir le livre sous les yeux. Puis la dimension esthétique, la beauté, les visages…
Pendant des années j’ai tenté de retrouver la vue : j’ai tenté de nombreuses techniques, le décodage biologique, etc. Un jour j’ai reçu l’inspiration, je me suis mis à écrire. Pour moi c’était la réponse à mes efforts : je voyais mieux, plus loin. Si on me redonnait la vue, je dirais oui ; mais si c’est à la condition de perdre cette inspiration, je refuserais net.
Parlons de votre dernier livre, justement. Quels sujets y abordez-vous ?
« Le regard qui transforme » est consacré aux cinq grandes blessures : le rejet, l’abandon, la dévalorisation, la maltraitance et la trahison. Nous avons tous l’une de ces blessures principales et cela participe de notre conditionnement. Le rejeté ne réagit pas comme le maltraité ; le dévalorisé n’aura pas les mêmes peurs que le trahi… Cela a un impact sur nos croyances, nos intérêts ou encore nos aptitudes.
Les blessures laissent des marques sur notre être, mais existe-t-il un équivalent positif ? Par exemple les cinq pansements ou les cinq joies : l’amitié, l’amour… ?
Cette question nous amène à traiter de l’aspect spirituel, notre vraie nature, faite de joie, de paix, de créativité, d’amitié ou d’amour. Même notre blessure principale tend à favoriser l’un ou l’autre de ces aspects. Si on a dévalorisé quelqu’un, il aura tendance à développer sa créativité, son art, ce sera une belle personne avec une belle voix. Un rejeté, souvent rebelle, développera dans ses qualités l’humour ou encore les dons d’animateur.
Plus je me libère de mon conditionnement, plus j’ai accès à ma nature véritable, où l’on retrouve l’amour, la paix et la joie. On parle d’être humain, mais avant d’être « humain », on est un « être ».
Comme le montre le succès de la série En Thérapie, il semble y avoir un engouement de plus en plus grand pour la psychologie…
De la même façon que l’on peut observer les choses empirer, on peut aussi noter qu’il y a une ouverture de plus en plus grande vers autre chose, vers l’amour. De plus en plus de gens ont conscience du besoin de se décharger émotionnellement ou de s’éveiller pour ne pas rester pris dans le passé. Les situations de plus en plus intenses incitent plus à rechercher une aide. Ce qui explique le nombre grandissant de patients mais aussi de psychologues ou d’éveilleurs de conscience.
Voulez-vous dire un dernier mot pour conclure notre interview ?
Quoi que nous endurions, en quelque circonstance que ce soit, voyons si nous pouvons accepter l’Idée qu’il y a toujours une façon plus ajustée de vivre les choses. Acceptons cette Idée, chérissons-la, plus que d’écouter les doutes ou les interrogations de notre tête !